Texte de Florian Gaité pour l’exposition « Onde de submersion », exposition personnelle à l’Espace d’art contemporain de Juvisy-sur-Orge

 

Janvier 2019

 

« Pour être, besoin d’étai »
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance

 

Les œuvres de Julia Gault réactivent la figure du colosse aux pieds d’argile pour sensibiliser au risque d’un effondrement désormais marqueur de l’époque. Depuis l’écroulement des Twin Towers à New-York jusqu’à ceux du viaduc du Polcevera à Gênes ou des immeubles vétustes de la rue d’Aubagne à Marseille, l’opinion publique se rend à l’évidence d’un monde qui vacille de plus en plus sur ses assises. L’instabilité des constructions architecturales est donc d’emblée prise comme un symbole de la fragilisation croissante des systèmes humains qui président à son organisation, et le symptôme d’un désastre global que l’art doit pouvoir anticiper. En prenant l’onde de submersion pour motif, soit l’élévation brutale du niveau de l’eau suite à la rupture d’un barrage, la plasticienne propose de penser les désordres à venir comme autant de fuites et de débordements qui conduisent le monde au seuil de la catastrophe. Pour mieux confronter la démesure de l’homme au risque écologique qu’elle implique, chacune de ses œuvres met ainsi en scène les tensions vives entre des constructions fragiles et les forces naturelles qui les régulent, comme pour renverser le rapport de domination qui s’y exprime.

La mise en jeu de gestes relevant du bricolage ou du savoir-faire artisanal s’envisage donc ici comme le moyen d’une critique des constructions humaines et des limites qu’elles affichent aujourd’hui. A rebours des ambitions d’éternité que formulent les bâtisseurs, les architectures révèlent en effet des faiblesses qui contredisent le sentiment de toute puissance qui a motivé leur érection. Julia Gault donne précisément consistance à des formes structurellement vulnérables, aussi chétives que pathétiques, pour replacer l’homme face à ses responsabilités. L’équilibre précaire a de fait toujours constitué un principe cardinal de son travail de sculpture. Pour cette exposition cependant, elle opère un changement de perspective qui marque une nouvelle façon pour elle d’aborder la matière. Là où son travail se focalisait jusque-là sur les notions de chute, d’ascension et de verticalité, les nouvelles pièces font bien plutôt retour à la terre et aux lois de la gravité. Cette mise à l’horizontale commande en ce sens le choix de matériaux qui évoquent logiquement l’idée de sol et de fondation (terre de faïence crue, terre vivante, sable…) même si leur nature friable et perméable ne permet pas d’écarter le risque de l’accident. Julia Gault laisse au contraire planer la menace, au cœur d’une démarche que l’on pourrait qualifier de « collapsologie plastique », du nom de ce nouveau type de discours qui anticipe l’effondrement à venir et imagine les moyens de l’accompagner. Loin de mettre en doute la possibilité d’un écroulement du monde, le travail de l’artiste permet au contraire de se familiariser avec cette idée, d’en conjurer l’angoisse, et d’indiquer avec l’art comment la sublimer.

 

La projection Point de rupture introduit d’emblée à l’imminence d’un effondrement en associant des films d’éboulement, de glissement de terrain ou d’affaissement d’une falaise mis en ligne par des anonymes sur Internet. Julia Gault isole des situations d’attente, avant que la catastrophe ne survienne, et coupe la séquence au moment fatidique. Le spectateur peut alors l’anticiper et mesurer le risque réel qu’il représente, comme s’interroger sur le plaisir coupable qu’il prend face au spectacle de la destruction. Pour l’artiste, cette contradiction entre jugement moral et jugement esthétique est centrale dans la lecture de ses œuvres, elles-mêmes présentant le plus souvent une dimension à la fois ludique et tragique. L’œuvre introduit également à l’idée d’un corps humain toujours suggéré, évoqué en creux, qu’il s’agisse de celui de l’artiste toujours engagé dans un corps-à-corps avec la matière ou de ceux des humains, spectateurs de leur disparition programmée.

L’installation centrale, Où le désert rencontrera la pluie, rassemble des récipients en terre crue, moulés d’après des jerricans, des bouteilles, des arrosoirs ou des bonbonnes en plastique, dont certains d’entre eux ont été remplis d’eau en amont de l’exposition pour amorcer leur progressif affaissement. La vidéo La fuite, diffusée en regard, complète le dispositif en induisant l’impression d’un flux que l’on ne contient plus. L’association d’idées entre l’infiltration d’eau au sein de la matière et l’image d’une inondation renforce le sentiment d’un potentiel effondrement. Posé sur des étagères régulières, des caillebottis carrés disposés à hauteur égales, l’ensemble compose une grille dont la rigidité s’oppose formellement à la déliquescence des sculptures en terre. Représentation de la rigueur mathématique et de la structuration de la matière, elle permet d’opposer symboliquement l’effort de rationalisation de l’Homme à l’inévitable catastrophe qu’il n’arrive pas à endiguer.

Les sculptures qui complètent la sélection sont emblématiques du geste sculptural de l’artiste qui emprunte ses formes à l’art processuel. Parmi ses premiers travaux en effet, la moitié d’un tas de terre coupé en deux dont le flanc menace de s’écrouler (Au bord de), une pyramide de brique dont chacun des niveaux repose sur des billes (Jusqu’ici tout va bien) ou un groupe de cannes en porcelaine creuse adossées contre un mur (Tenir debout) faisaient toutes signes vers de possibles chutes à venir. Réactivée à chacune de ses expositions, La fin de la colonne ici présentée consiste en la superposition en quinconce de sacs de sable, formant un totem instable à peine retenu par un tasseau de bois en guise de soutien. Contre-proposition à la Colonne sans fin de Brancusi, elle est destinée à s’affaler au cours de l’exposition et à briser dans sa chute les rêves démesurés de l’homme. La série Tout s’écoule et rien ne reste reprend quant à elle la forme d’étais en bois utilisés pour supporter des architectures qui menacent de s’écrouler (une voûte, une fenêtre), mis en état de bascule comme pour nier leur fonction pratique et mettre en doute leur capacité à retenir l’écroulement. Dans leur prolongement direct, Mémoire de failles cristallise enfin l’empreinte d’une fissure moulée à même un mur dans un matériau fragile, le verre, donnant ainsi à voir le creux qu’elle comble pour en souligner la dangerosité.

D’un risque de fuite à celui de sa propagation, Onde de submersion se lit ainsi comme l’allégorie d’un système en perdition ou le signe d’une civilisation arrivée à saturation. Sa proposition préconise ainsi de faire retour à la terre, de prendre soin du sol sur lequel l’édifice humain repose pour mieux prévenir le risque d’un basculement définitif. Sans céder au catastrophisme ambiant, elle livre en toute simplicité son sentiment sur l’état du monde. Aussi laisse-t-elle ouverte la question de savoir si l’on peut encore colmater les failles, et invite le public à s’interroger : la terre n’est-elle pas déjà en train de se dérober sous nos pieds ?

 

Florian Gaité

 

 

 

 

 

«Julia Gault Verticalità precarie» par Anna Battiston

 

Avril 2019

 

Revue italienne Juliet 192

 

 

 

 

 

 

«Que peut vraiment l’art pour l’écologie » Maïlys Celeux-Lanval, Beaux Arts Magazine

 

Avril 2019

 

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Entretien dans la revue Grecque « Space52 » Maria Xypolopoulou

 

Avril 2019

 

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Article dans Beaux Arts Magazine «Julia Gault, sculptrice de l’effondrement à Juvisy-sur-Orge» parMaïlys Celeux-Lanval

 

Février 2019

 

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Article dans Art-critique «Julia Gault, la fin de la démesure» par Erwan Renet

 

Janvier 2019

 

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Entretien dans la revue Point contemporain – Par Pauline Lisowski

 

Janvier 2019

 

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Interview audio dans FranceFineArt, par Anne-Frédérique Fer

 

Janvier 2019

 

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Texte de Matthieu Lelièvre pour le catalogue des sélectionnés du 63e Salon de Montrouge

 

Avril 2018

 

Julia Gault définit son travail comme une recherche sur la précarité de la posture verticale, se tenir soi-même debout ou la possibilité d’intervenir sur les conditions de cette verticalité dans l’espace. Défi de la pesanteur terrestre, à la fois physique et psychologique, cette démarche ne cherche pas tant à construire qu’à s’interroger sur les conditions de réalisation de l’improbable.
La gravité, les caractéristiques internes des matériaux mais aussi des technologies, tout pourrait se résumer dans la beauté et l’éphémère d’un château de carte ou de la tension d’un équilibriste.

 

La splendeur de l’élévation est son inspiration, en ce que les montagnes elles-mêmes, n’échappant pas à l’érosion, manifestent avec le temps leur propre fragilité. Cette observation qu’elle décline dans ses sculptures de briques, de verre ou d’éléments prélevés dans la nature prend d’ailleurs souvent pour point de départ le paysage et l’environnement naturel, citant parfois l’expérience personnelle d’un éboulement de terrain dans la favela de Rio de Janeiro où elle a vécu.

 

Le propos même de ses sculptures, vidéos et installations se construit souvent sur ce principe de construction et de fragilité, d’ascendance et de dépense d’énergie et d’opposition des forces. Manifestant le désir de faire l’expérience de ses propres oeuvres, l’artiste se confronte souvent physiquement à ses sculptures, essayant d’aller au bout de ses propres limites et acceptant que leur format soit lié à ses limites corporelles personnelles, construisant une sorte de modulor de l’effort.

 

Cette façon de repousser ses limites physiques n’est pas éloignée de cette fatigue qui accompagne dans certaines cultures le dépassement d’un état (la danse, le jeûne), destiné à faciliter un accès psychique à d’autres dimensions. C’est précisément ce en quoi le travail de Julia Gault atteint une dimension transcendante et quasi-spirituelle. La tentative d’ascension de ses sculptures et la fragilité qui les affecte, représentent la métaphore sensible d’une élévation spirituelle prisonnière de son incarnation. Sisyphe pourrait être son mentor.

 

 

 

 

 

 

«Batir en détournant fluidifiant» – par Chris Cyrille dans Point Contemporain

 

Septembre 2018

 

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Catalogue du 63e Salon de Montrouge p.60-61

 

Mars 2018

 

 

 

 

 

 

«63ème Salon De Montrouge. 5 Artistes À Ne Pas Manquer.» dans Manifesto.XXI – par Samuel Belfond

 

Mai 2018

 

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«Salon de Montrouge : ces trois oeuvres d’art valent la visite !» dans Le Parisien – par Lucie Cayrol

 

Avril 2018

 

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Vidéo sur mon travail sur WIP ART

 

Décembre 2017

 

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«France: Instant Présent – Imago Mundi (catalogue français de la collection Luciano Benetton)

 

Janvier 2017

 

 

 

 

 

 

Texte de Kevin Dellandrea (Mathilde Expose) pour l’exposition des finalistes du concours La Convocation à la Galerie Laure Roynette


Mai 2017

 

En 2015, Julia Gault effectue un échange scolaire au Brésil, à Rio de Janeiro. Elle réside pendant plus de six mois au sommet d’une favela où elle découvre et éprouve jour après jour la vie à flanc de montagne. Situées sur les pentes raides des collines, à la périphérie des centres urbains, les favelas sont des quartiers pauvres densément peuplés, bâtis sur des terrains occupés illégalement. Les habitations se superposent et s’élèvent tout en épousant les reliefs sinueux de la montagne. Les routes sont rares, les infrastructures sont précaires, chaque déplacement implique de gravir de nombreuses marches et demande ainsi un effort physique considérable. Cette expérience de contraintes et de mise à l’épreuve du corps face à la verticalité extrême du relief se révélera déterminante pour Julia Gault. De retour en France, elle développe une pratique de sculpture et d’installation interrogeant les notions d’élévation et de gravité, d’équilibre et de chute mais aussi le rapport de l’homme avec les forces naturelles.

La croix est une installation murale composée de pierres récupérées au cours d’une randonnée dans un ruisseau au pied du pic du Corcovado. Fragments de la montagne, ces pierres illustrent le phénomène d’érosion responsable du délitement de la roche et de sa chute au bas du ruisseau. Ce mouvement descendant s’oppose à celui, ascendant, des pèlerins et randonneurs qui gravissent le mont jusqu’à son sommet pour contempler la statue du Christ Rédempteur. Taillées en forme de croix, les pierres font écho à l’aspect spirituel de cette ascension tout en suggérant le balisage d’un chemin. Accrochées à égales distances, elles forment une ligne oblique partant du sol pour s’élever jusqu’au plafond, à l’angle de deux murs. Cette ligne dessine un triangle qui évoque la forme pentue et simplifiée d’une demi montagne, souvenir du site où ont été prélevées les pierres. La partie manquante, l’autre moitié, peut apparaître au spectateur qui est invité à terminer l’oeuvre par la force de son imagination.

 

Lignes de force et points de faiblesse est la photographie du terrain d’une favela après un éboulement causé par l’explosion d’un tuyau d’alimentation en eau qui entraîna avec lui une maison en contrebas. Par-dessus, les lignes de force de l’image ont été tracées à la pointe sèche, soulignant autant les structures que les marques de faiblesse d’un paysage dévasté. L’artiste a souhaité rendre compte de la précarité des constructions et formes hautes face à la force inéluctable de la gravité. Tracées directement sur le papier photographique, les lignes l’usent et le fragilisent : « L’objet, à l’image du terrain, est au bord de la rupture. »

 

 

 

Texte d’Emmanuelle Oddo


Mars 2017

 

Julia Gault – Bien que le monde se renverse
Exposition personnelle à la Galerie du CROUS du 28 mars au 8 avril 2017

 

Dans le prolongement de ses recherches autour de la gravité, cette dernière exposition de Julia Gault s’ancre dans cette tension entre verticalité de la matière et chute certaine.

Sur les deux niveaux de la galerie du Crous, l’artiste a donc construit son terrain de bataille : une bataille livrée contre la nature, dans ce désir de défier tant que possible le phénomène de pesanteur qui nous régit. Un contre-pied à l’humain aussi, à son besoin constant d’élévation – élévation du « je », élévation d’édifices toujours plus hauts bâtis à son image, élévations urbaines satisfaisant des logiques de surproduction et surconsommation.

Comme une résilience face à cette soif de grandeur et de suprématie, les oeuvres de Julia Gault rappellent le caractère vulnérable et précaire des formes hautes, immanquablement attirées vers le sol par la force de la gravité. Une fragilité mise en exergue par l’utilisation de matériaux naturels : l’eau ou le verre côtoient la terre sous toutes ses formes – terre crue, terre cuite, terre vivante. Ce choix restreint n’est pas sans rappeler la simplicité extrême de l’équation pourtant tumultueuse entre eau, terre et gravité, responsable des éboulements de terrains fréquents dans des pays comme le Brésil, où l’artiste a vécu.

Jouant alors de la relation entre ces trois éléments, les oeuvres en présence se retrouvent en proie à la chute, le public se faisant alors témoin de leur progressif délitement, tout comme nous sommes spectateurs de l’agonie de notre système.

Pourtant, loin de précipiter cette décadence, la volonté de l’artiste est ici d’ériger la matière et de défier la fatalité. Car si le monde se renverse, « l’idée est de tenir bon, et de tenir debout ».

 

 

 

Entretien avec Emmanuelle Oddo

 

“Attractions” par Julia Gault, sous le commissariat de Timothée Viale

Retrouvez l’article issu de la conversation, publié sur Lechassis


Mars 2016

 

Partie pendant six mois à Rio, c’est là-bas, entourée des montagnes, que Julia Gault a choisi pour point d’attache les questions liées à l’ascension, la gravité, la chute.

Etudiante en cinquième année à l’ENSAD, l’artiste a depuis axé son travail autour de l’idée de la verticalité et de ses dynamiques opposées. Accompagnée par le curateur Timothée Viale, elle propose pour le Prix Dauphine pour l’Art Contemporain, « Attractions », un ensemble de pièces testant la capacité de la matière à être élevée.

 

On présente ton travail comme traitant des questions de forces et de mouvements opposés de la verticalité. Peux-tu m’en dire plus cette dualité et ta manière de l’aborder ?

 

Il y a deux ans, j’ai eu l’occasion de partir six mois en échange à Rio et c’est là-bas, entourée des montages, que j’ai vraiment axé mon travail sur cette idée de verticalité, de l’ascension, de la chute. Plusieurs choses m’intéressent dans la notion de verticalité : la condition de l’homme d’abord, qui est maintenu au sol par la gravité, la posture verticale de l’être humain évidemment fragile, et toutes les questions liées à la spiritualité : la volonté de s’élever, de s’émanciper de tout ce qui nous maintient au sol et qui fait que finalement nous sommes des êtres humains.

Ce qui m’importe le plus est de tester la capacité de la matière à être élevée. Le fait d’ériger la matière à la verticale est presque contre nature car tous les éléments sont attirés au sol, c’est donc prendre le risque qu’elle retombe. Pour rendre compte de cela, je travaille sur des sculptures dont on sent un équilibre précaire.

 

Quand on observe tes œuvres « Zéro » (2012) ou « Couleur du temps » (2014), on a l’impression que ton discours porte également sur l’éphémère, la fragilité, et en même temps, on ressent un sentiment d’infini, de répétition, de force cyclique.

 

Zéro est une étude sur le passage du rien au rien, sur la confrontation du corps au temps. J’ai travaillé ici sur les cernes de l’arbre, qui représentent l’inscription du temps qui passe. J’ai d’abord retiré des tronçons la matière la plus ancienne, pour arriver à la matière la plus jeune, afin de créer une temporalité. Cette pièce a été réalisée en 2012, avant que je ne commence à donner à mes pièces une dynamique verticale. L’horizontalité de cette œuvre permet de définir une frise, un déroulé dans le temps. Mais elle représente aussi une position de mort, qui s’oppose à la verticalité qui est, elle, une posture dynamique, une position de vie.

Couleur du temps au contraire, est axée sur l’idée d’élévation. Je suis partie d’un matériau pris du sous sol : je me suis rendu compte que les dos des affiches de métro arrachées étaient de plusieurs bleus différents. J’en ai donc sélectionné certains dans le but de tenter d’exprimer, ou matérialiser, la splendeur du ciel avec un matériau banal et trivial. La forme, semblable à une tour qui pourrait s’élever sans fin, accentue cette sensation d’élévation.

 

L’affiche de métro est aussi fragile et éphémère finalement. Elle ne reste intacte que très peu de temps avant qu’elle ne soit recouverte ou déchirée, et toi tu lui donnes un ascendant.

 

C’est juste, il y a cette idée de fragilité, mais aussi de superposition, qui donne toute la qualité du dos des affiches, qui en fait une matière intéressante, sensible.

 

La fragilité et l’instabilité sont des notions que l’on retrouve à travers ton œuvre « La Sainte-Victoire » (2015). Peux-tu commencer par m’en dire plus ce titre ?

 

A Rio j’ai beaucoup étudié l’idée d’ascension, notamment le fait de gravir une montagne. De retour à Paris, n’ayant plus cet environnement là, je me suis demandé comment amener la montagne en atelier. En faisant des recherches, je suis tombée sur un fait qui s’était passé en 1989, un incendie ravageur à la Sainte-Victoire.
Après avoir brûlé des branches d’arbres, j’ai donc tenté de les élever entre elles, par des points de contact extrêmement faible pour leur redonner une réalité en volume, l’apparence d’un relief montagneux. Je cherchais surtout à travers cette œuvre à redresser la matière pas à pas, dans un mouvement qui s’élève, mais reste très fragile.

La contrainte de cette pièce, comme souvent dans mon travail, réside dans la difficulté de l’exposer. Face à un public, le risque de chute est élevé. Ce rapport du visiteur à des formes fragiles m’intéresse, cela sous-entend une mise à distance au sol, ici délimitée par la cendre déposée, cendre qui rappelle également dans sa chute un mouvement de verticalité.

 

On dirait en effet que ton œuvre tend à s’élever, à retrouver sa matérialité malgré son apparente fragilité. Ton but est-il de donner une force aux choses pour qu’elles puissent contredire leur condition ?

 

Oui, dans ce titre, il faut aussi voir l’idée de la victoire. Les branches et la cendre évoquent la mort mais on tend à une forme plus dynamique qui s’élève, l’idée c’est de tenir bon, et de tenir debout.

 

Et en même temps, elle semble s’étirer également à l’horizontal. Pourquoi cette tension entre verticalité et horizontalité ?

 

La tension de cette pièce réside dans la volonté d’ériger de manière dynamique les branches brulées qui jonchent habituellement le sol. L’horizontalité est là pour définir un relief, et servir l’idée d’érection de la matière dans un mouvement, une dynamique de construction qui ne soit pas une ligne verticale figurée.

 

Les œuvres que tu vas exposer lors du Prix Dauphine pour l’Art Contemporain forment ensemble un projet d’installation baptisé « Attractions ». De quelle manière gravitent-elles autour de ce thème ?

 

« Attractions » est un ensemble de cinq pièces qui comprend aussi bien des sculptures, que des installations ou une vidéo. Cette vidéo, que j’ai intitulée Le porteur, a été tournée à Rio. En un seul plan séquence, elle donne à voir un homme qui porte sur son dos un sac de six briques en terre cuite. Il monte les escaliers interminables de la favela, où j’ai vécu quatre mois, jusqu’au sommet.
Ce qui m’importait ici était de tester la résistance d’un corps dans cette idée d’ascension d’une montagne, d’étudier la condition du corps qui se fatigue, surtout avec cette contrainte du fardeau qui l’attire vers le sol. Répétée sans cesse, la vidéo fait référence au mythe de Sisyphe, à l’idée d’une action un peu vaine qui se reproduit sans fin. De fait le métier de porteur est un métier à part entière à Rio, qui est très courant.

Lors de l’installation à Dauphine s’est posée la question de l’accrochage de l’écran. Timothée et moi avons choisi de le poser contre un mur, à même le sol. Nous refusions l’idée du socle, qui est trop convenu, qui contredit la fragilité, qui apporte une notion de confort. Le porteur est la seule vidéo de l’installation, mais elle délivre des correspondances avec toutes les autres œuvres : la question du corps fait écho à Hors de portée ou Vertige, l’élévation rappelle « Couleur du temps », et les briques se retrouvent aussi dans l’installation « Jusqu’ici tout va bien ».

 

Peux-tu nous parler de ces nouvelles pièces que tu vas présenter ?

 

Jusqu’ici tout va bien parle des éboulements de terrain en montagne et de l’instabilité des sols, fréquents à Rio. Cette idée de bâtit sur des terrains instables m’intéresse. Les éboulements de terrain résultent d’un mélange de terre, d’eau et de gravité.
Cette pièce est une construction sculpturale qui consiste à élever des briques en terre cuite les unes sur les autres pour leur faire prendre de la hauteur. Ici, chaque brique est montée sur des billes de verre transparentes, qui participent évidemment à l’instabilité de la pièce, mais qui évoque aussi la goutte d’eau. Chaque brique est également décalée sur son axe, créant ainsi des jours, et l’idée un mouvement imperceptible, comme si elles allaient in fine sortir de leur ligne. Encore une fois, on s’attend à chute certaine.

Les deux dernières pièces sont réalisées en porcelaine creuse extra-fine. Hors de portée est ma première édition, elle est tirée en douze exemplaires. Il s’agit de trois prises d’escalades moulées, disposées sur une grande cimaise. Cet objet a été créé afin de permettre à l’homme de s’élever, mais la fragilité extrême du matériau, et leur éloignement exagéré, les rend impraticables. On est face à une élévation impossible, ou alors il faudrait justement s’émanciper de toute l’apesanteur terrestre, devenir immatériel.
Vertige représente, par le biais d’une canne en porcelaine, toute la fragilité de la posture verticale de l’homme. C’est le point de départ d’une installation de mon projet de diplôme.

 

Comment s’est organisé le binôme avec Timothée Viale ?

 

Timothée Viale est la première personne à avoir écrit sur mon travail, ce qui m’a d’ailleurs énormément aidé à préciser ma pensée. Nous nous étions rencontrés car je cherchais un curateur avec qui échanger sur mes projets et organiser des expositions.
Nous avons donc saisi l’occasion du Prix Dauphine pour l’Art Contemporain pour présenterAttractions, dont le titre évoque à la fois l’attraction terrestre et l’attraction du ciel. Timothée m’a beaucoup aidé dans le choix des pièces, qu’il a sélectionné par rapport aux problématiques que j’évoquais, et sur la scénographie.

C’est la première fois que je présente un ensemble de pièces dans un même espace, c’est très émouvant et aussi très intéressant de voir comment elles fonctionnent entre elles. Les œuvres se masquent et se découvrent au fur et à mesure, pour qu’il y ait vraiment un temps de lecture différent pour chacune d’entre elles.